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Article / RESPONSABILITE DES AVOCATS

[Jurisprudence] L’unicité de la prescription de l’action en responsabilité civile contre l’avocat. Réf. : Cass. civ. 1, 28 février 2024, n° 22-22.895, F-B N° Lexbase : A26202Q4 N8887BZ8

Article publié avec l’aimable autorisation de Madame Marie Le Guerroué, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase Avocats.

 

La question de la prescription est transversale et met en évidence des impératifs contradictoires. En matière pénale, l’allongement de la prescription est une constante qui peut être discutée[1]. En matière civile la loi n° 2008-561 du 17
juin 2008 N° Lexbase : L9102H3I a réduit drastiquement les délais de procédure et le point de départ de la prescription, à lui seul, révèle une grande complexité[2]. L’action en responsabilité civile contre l’avocat n’échappe pas à ce constat.

 


 

I. Des distinctions subtiles

1. L’appréciation de la responsabilité de l’avocat donne lieu à des distinctions subtiles. Elles tiennent aux règles de procédure particulière en matière de taxation des honoraires. Celle-ci est dotée de règles de procédures spécifiques, exemple unique pour des honoraires dus à des professionnels.

En première instance la compétence est celle du Bâtonnier, en second degré le premier président de la cour d’appel[3], le plus souvent un délégué. Cette procédure est inchangée depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ, applicable le 16 septembre 1972.

Ces particularités entraînent un cloisonnement avec d’autres procédures. Ainsi l’exception d’inexécution, à vocation générale[4] ne peut recevoir application. Le débiteur des honoraires ne peut s’opposer à la dette d’honoraires en formant une demande reconventionnelle pour obtenir réparation des fautes de l’avocat. En se fondant sur le droit commun des obligations, le régime de la défaillance contractuelle devrait en théorie s’appliquer[5]. Il n’en est rien et le principe est rappelé régulièrement par la Cour de cassation[6]. On ne peut résister à l’application d’un principe exprimé simplement, qui ne laisse aucune possibilité d’interprétation : « les instances en responsabilité civile contre les avocats suivent les règles ordinaires de procédure[7] ».

Tout au plus a-t-on vu la jurisprudence attendrir exceptionnellement la règle. Le juge de l’honoraire est compétent pour apprécier le caractère manifestement inutile des honoraires de l’avocat[8].

2. Une autre distinction doit s’appliquer. Elle touche aux manquements de l’avocat à son devoir d’information. Les membres du Barreau doivent fournir d’emblée à leurs clients une information claire, compréhensible, précise et loyale. Cette obligation perdure pendant la durée de l’exécution du contrat[9].

La désignation du débiteur relève également du droit commun et échappe au juge de l’honoraire[10].

La mise en cause de la responsabilité civile de l’avocat correspond à une demande nouvelle des clients. Elle relève incontestablement de la responsabilité civile et il convient d’appliquer les règles du droit commun. Un exemple soumis à la Cour de cassation paraissait topique[11].

La Haute juridiction montre des instances nouvelles qui laissent poindre des possibilités nouvelles d’action en responsabilité engendrées par les manquements aux obligations d’information[12].

Après avoir échoué à faire valoir son obligation devant le juge de l’honoraire, le justiciable avait engagé une action en responsabilité devant le juge de droit commun. La cassation et le renvoi devant la cour d’appel de Lyon rendaient intéressants le sort de l’instance, pour savoir si l’opiniâtreté du justiciable avait reçu sa (juste ?) récompense. Malheureusement pour le justiciable, mais aussi pour le commentateur, par suite d’une erreur procédurale, la saisine de la cour de renvoi a été déclarée irrecevable[13].

Ces décisions récentes montrent qu’au plus haut niveau s’apprécie la subtilité des règles de prescription pour l’action en responsabilité civile contre l’avocat. La durée de prescription n’échappe pas elle-même à des évolutions qui remontent à plus de trente ans.

 

II. Une prescription aux contours évolutifs

1. La prescription de l’action en responsabilité contre l’avocat a été singulièrement raccourcie. Pendant des décennies elle suivait la règle générale de la prescription trentenaire : « Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans… »[14]. Cette durée pouvait paraître particulièrement longue, notamment en contemplation des obligations en matière de restitution des pièces. Le Code civil[15] décharge après cinq ans courant du jugement ou de la cessation de son concours l’obligation par l’avocat de conserver les pièces qui lui avaient été confiées.

On avait souligné l’incohérence des deux règles et la sévérité pour les avocats exposés pendant trente ans à une action en responsabilité. Il était alors sage de suggérer une durée de dix ans, applicable tant à la conservation des pièces qu’à la prescription de l’action en responsabilité civile[16].

D’un seul mouvement, la réforme des professions juridiques et judiciaires a réduit à dix ans la prescription de l’action en responsabilité civile[17]. On peut sans doute voir là une influence de la profession sur les pouvoirs publics. Une réforme de cette nature était moins coûteuse pour l’État qu’une sensible augmentation des indemnités d’aide juridictionnelle et de commissions d’office. Cette modification ne visait pas expressément les avocats mais « les personnes légalement habilitées à représenter les parties en justice ». Il était précisé que la responsabilité « se prescrit par dix ans à compter de la fin de la mission ».

2. La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 N° Lexbase : L9102H3I raccourcissait de façon significative les prescriptions civiles avec l’objectif de les simplifier. Lors d’une récente intervention devant les avocats, un auteur de référence, spécialiste du droit des obligations, indiquait avec humour que l’étudiant qui aurait vu dans la loi du 17 juin 2008 une simplification n’aurait rien compris de son enseignement[18].

En revanche, pour l’avocat judiciaire, le régime de la prescription ramené à cinq ans devenait homogène et prenait place dans le Code civil sous la référence d’un article 2225 :

« L’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se poursuit par cinq ans à compter de la fin de leur mission ».

3. Néanmoins deux régimes restent applicables pour l’avocat. L’avocat judiciaire bénéficie d’un texte spécial, mais l’avocat qui agit en matière juridique reste assujetti à la prescription de droit commun, ce qui peut entraîner des conséquences plus sévères. En effet, s’il y a également un délai de cinq ans, celui-ci ne court pas de la fin de la mission, mais « du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (l’action) ». Pour le notaire, la solution étant transposable à l’avocat, ce n’est pas la lettre de redressement adressée au client après un acte défectueux qui fait courir la prescription, mais le jour où le contentieux sur le redressement s’est terminé[19]. Ainsi quand la lettre de redressement est du 29 août 2007, la prescription n’aura commencé à courir que le 7 janvier 2014, date de l’arrêt de la cour administrative d’appel qui rejette le recours. Une différence de plus de six ans vient donc au secours du demandeur.

On peut donc considérer que le régime dérogatoire (C. civ., art. 2225 N° Lexbase : L7183IAB), comparé au régime de droit commun (C. civ., art. 2224 N° Lexbase : L7184IAC) est favorable au professionnel, défavorable à son client.

La distinction est-elle illégale ? Peut-on même y voir une disposition contraire à la Constitution ? La Cour de cassation[20] a jugé que la question était sérieuse et méritait d’être soumise au Conseil constitutionnel. La question portait sur le point de départ du délai, et
« la fin de la mission ». Le Conseil constitutionnel[21] a estimé qu’une différence de traitement pouvait concerner la mission de représentation et d’assistance en justice comparée à l’activité de conseil et de rédaction d’actes. De cette façon la différence de régime a acquis, récemment, mais incontestablement, ses lettres de noblesse.

4. L’instance qui a donné lieu à la décision commentée a été soumise préalablement à la cour d’appel de Paris. La lecture présente un réel intérêt[22].

Un avocat avait reçu deux missions donnant lieu à deux conventions d’honoraires. Leur lecture permettait de voir qu’il s’agissait d’une mission judiciaire : une action devant le conseil des prud’hommes et une action devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Le 30 septembre 2016 le Bâtonnier de Paris avait taxé les honoraires pour une somme de 15 000 euros H.T. Le justiciable s’est donné un large délai de réflexion et s’il s’agissait d’une vengeance, le plat devait se manger froid. L’avocat recevait le 8 janvier 2021, devant le juge de droit commun, une assignation en dommages-intérêts. Dès le 18 novembre 2021 le juge de la mise en état, expressément compétent[23] pour statuer sur l’exception d’incompétence, jugeait que la prescription était acquise.

En défense, à titre principal, l’avocat avait demandé le renvoi devant le juge de l’honoraire mais cette demande ne pouvait prospérer. Il est définitivement jugé aujourd’hui, n’en déplaise aux assureurs, que les dommages-intérêts représentés par des honoraires inutilement payés à l’avocat relèvent du contentieux de la responsabilité et non de celui des honoraires[24]. Il était plus réaliste de solliciter subsidiairement une application de l’article 2225 du Code civil pour souligner une évidence : l’action ayant été engagée plus de cinq ans après la fin de la mission le juge ne pouvait que retenir la prescription.

Celle-ci doit désormais intégrer une jurisprudence nouvelle[25] dans laquelle l’on verra une précision, à la différence de certains auteurs qui y voient un renversement de jurisprudence[26]. Si le mandat a été révoqué avant la décision mettant un terme à l’instance, il faut prendre en considération la date de la révocation et non celle de la décision. En l’espèce la révocation du mandat avait été faite par un courriel du 24 novembre 2014. L’action introduite par une assignation du 8 janvier 2021 ne pouvait qu’être prescrite au visa de l’article 2225 du Code civil.

Au visa de l’article 2224 du Code civil on peut penser que la demande aurait été recevable. Le délai de cinq ans part du jour où le client « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (l’action) ». Si le délai partait de la décision de taxation du
bâtonnier, l’action pouvait être jugée recevable.

Avec une motivation concise dont elle a le secret la Haute juridiction a estimé que « le devoir d’information de l’avocat sur les modalités de détermination de ses honoraires et l’évolution de leur montant n’est pas dissociable de la mission d’assistance et de
représentation en justice ». En conséquence il y a lieu d’appliquer une règle unique, celle de l’article 2225 du Code civil.

Cette solution est parfaitement cohérente. Pour l’adopter la Cour de cassation a eu soin de rappeler, dans l’exposé du litige, que l’avocat avait été chargé par sa cliente de la représenter en justice. De ce mandat découle des obligations « indissociables », qui
justifient un régime unique de prescription.

Conclusion

Le contentieux de la responsabilité de l’avocat semble bien défini aujourd’hui par le juge dans ses conditions essentielles : la faute, le préjudice et le lien de causalité. Reste pour les plaideurs déterminés à solliciter le juge sur les marges et au juge à adopter des solutions cohérentes.

L’arrêt commenté paraît remplir cet objectif.


 

[1] M. Dosé, Éloge de la prescription , Edition de l’observatoire, 2021.

[2] J. Klein, Le point de départ de la prescription, Préf. N. Molfessis, Economica 2013.

[3] Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 174 à 179 N° Lexbase : L8168AID.

[4] Code civil, art. 1219.

[5] Ph. Le Tourneau (Dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2021, § 3325.17.

[6] Cass. civ. 2, 11 juin 2015, n° 13-27.987, F-D N° Lexbase : A8937NK9 ; Y. Avril, Les honoraires de l’avocat sont-ils dus en cas de faute de sa part ? , Lexbase, décembre 2022 N° Lexbase : N3420BZP.

[7] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 26 N° Lexbase : L6343AGZ.

[8] Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n° 14-10.787, FS-P+B N° Lexbase : A9378N3Q, Gaz. Pal., 16 février 2016, p. 14, note D. Piau ; D. Avocats, 2016, 138, obs. Deharo, D. 2017, 79, obs. Th. Wickers ; Cass. civ. 2, 3 mai 2018, n° 17-16.131, F-D N° Lexbase : A4276XMC.

[9] S. Bortoluzzi, D. Piau Th. Wickers, H. Ader et A. Damien, Les règles de la profession d’avocats, Dalloz Action 2022, 712, 10 et suivants ; Règlement intérieur national, art. 11 N° Lexbase : L4063IP8, décret n° 2023-552 du 30 juillet 2023, art. 10 du Code de déontologie de l’avocat N° Lexbase : L0651MIX, se substituant à l’art. 10 du décret n° 2005-803 du 12 juillet 2005 N° Lexbase : L1963ITU, de la déontologie de l’avocat.

[10] Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-15.728, F-D N° Lexbase : A64587IZ ; Cass. civ. 2, 21 janvier 2021, n° 18-17.582, F-D, N° Lexbase : A23914EB.

[11] Cass. civ. 1, 23 septembre 2020, n° 19-13.214, FS-P+B N° Lexbase : A04713WD, Lexbase, novembre 2020, note Y. Avril.

[12] Voir par ex. Cass. civ. 2, 24 mai 2017, n° 16-18.145, F-D N° Lexbase : A0942WEM

[13] CA Lyon, 1er juillet 2021, n° 20/06275 N° Lexbase : A91894XM

[14] C. civ., anc. art. 2262 N° Lexbase : L2548ABY.

[15] C. civ., anc. art. 2276 N° Lexbase : L2563ABK.

[16] Y. Avril, La responsabilité de l’avocat, Dalloz 1981, n° 90.

[17] Y. Avril, Première salve. Commentaire de la loi n° 89-906 du 9 décembre relative à diverses professions judiciaires et juridiques, Gaz. Pal. 1990, I, doctr. P. 179.

[18] Ph. Brun, Responsabilité civile et assurances, Dinard, 2 juin 2023.

[19] Cass. civ. 1, 29 juin 2022, n° 21-10.720, F-B N° Lexbase : A859778W.

[20] Cass. QPC, 28 juin 2023, n° 23-13.689, FS-D N° Lexbase : A838397M.

[21] Cons. const., décision n° 2023-1061 QPC, du 28 septembre 2023 N° Lexbase : A30191IN.

[22] CA Paris, 4, 13, 14 septembre 2022, n° 21/21770 N° Lexbase : A87378IG

[23] C. proc. civ., art. 789° N° Lexbase : L9322LTG.

[24] Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n° 16-12.686, F-P+B N° Lexbase : A2314SXY

[25] Cass. civ. 1, 14 juin 2023, n° 22-17.520, FS-B N° Lexbase : A79989ZA.

[26] C. Hélaine, Revirement de jurisprudence concernant le point de départ de l’action en responsabilité civile contre l’avocat, Dalloz Actualité, 19 juin 2023.

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